Association Tachoires-en-Astarac

Salluste Du Bartas, un poète Gascon

Chers amis

Vous n’avez pas pu venir entendre ma causerie aux Amis du Vieil Auch, ou bien vous êtes arrivés en retard par ma faute ou bien vous n’étiez pas au courant que je la faisais,

 

Je vous l’adresse en pièce jointe.

Soyez indulgents, il y a sans doute des inexactitudes, car je ne suis pas une spécialiste de cet auteur dont il a fallu que je découvre TOUT et je ne suis pas une historienne, même si j’aime et fréquente l’histoire depuis toujours.

Mais j’ai fait tout le travail que je pouvais et je me suis efforcée de ne dire que des choses renseignées et de vous faire partager ma découverte.

Ce travail m’a passionnée et m’a beaucoup appris.

Je suis toujours longue : c’est ma manière, je ne sais pas faire autrement : excusez m’en.

Amicalement.

Geneviève Bigueure

 

Toutes ses œuvres sont accessibles sur Internet:

http://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&query=%28gallica%20all%20%22Salluste%20du%20Bartas%22%29

 

 

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Guillaume DE SALLUSTE DU BARTAS

    Poète chrétien et poète savant

 

 

 

  C’est un homme de la Renaissance, ce XVIème bouillonnant et  chaotique, extrêmement contrasté, marqué en France et en Europe par  une révolution de la pensée et de la vision du monde et au sein de  l’Eglise par le séisme que fut la naissance du protestantisme qui  aboutit  aux guerres de religion. Il y en eut 8 de 1562 à 1598 : 36 ans de  troubles  avec seulement 2 périodes d’accalmie.  Une effervescence et  une  exaltation anime cette époque où l’imprimerie met à la disposition  de  ceux qui ont le privilège de pouvoir s’instruire et apprendre tout le  savoir  sauvé depuis l’Antiquité et tout ce qui se découvre et se fait  dans le temps présent.

 

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Il est né en 1544 à Monfort, dans une maison de la grande rue de cette bastide de la Lomagne, dans la vicomté du Fezensaguet, florissante à l’époque mais bien secouée par la tourmente des guerres de religion, ce qui lui valut de subir 2 sièges, l’un en 1580 mené par les catholiques sous Henri III avec à sa tête le maréchal Armand de Gontaud-Biron  pour arracher la ville aux huguenots et un autre en 1585 avec à sa tête Henri III de Navarre, le futur Henri IV pour l’arracher aux catholiques.

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Il était fils de François Salustre, marchand mais aussi receveur des dîmes du diocèse de Lombez, roturier qui aura à cœur de s’ennoblir et riche bourgeois ambitieux, soucieux de tenir son rang dans sa cité et de s’élever, et avec lui sa lignée, et de  Bertrande de Broqueville. Il fut plusieurs fois consul de Monfort et acheta en 1565 Le Barthas, un modeste château, mais un bien d’église, un bien noble, ayant appartenu à l’évêque de Lombez Bernard d’Ornézan et qui lui conférait le titre de seigneur du Barthas. Ce lieu-dit était sur la commune de Saint-Georges dans le canton de Cologne ; il s’était déjà acquis celui de seigneur du Canet par l’acquisition de cette petite seigneurie près de Monfort. 

Guillaume de Salluste eut 2 frères qui moururent avant lui et des sœurs qui manifestement ne sont pas bien renseignées.

Son père mourut en 1566 et il devint par héritage « un des plus riches propriétaires terriens de la contrée ». Et il ne se contenta pas de ce qu’il reçut, il procéda lui-même à de nombreuses acquisitions de biens. De 1567 à 1569, il fit agrandir  le château du Bartas, encore modeste gentilhommière, mais résidence pleine de charme, et alors située en pleine forêt : c’est le sens du mot gascon Bartas. Ses descendants y apportèrent de nombreux agrandissements qui ont abouti à l’édifice bien sauvegardé que nous voyons aujourd’hui. Ce sera son lieu de séjour de prédilection.

 

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C’est à un cousin du poète, brillant avocat, plusieurs fois capitoul à Toulouse, fils de Pierre Salluste, 1 des frères de François Salluste, que l’on attribue le double l de Salluste aujourd’hui disparu dans l’intention  de faire descendre les de Salluste du célébrissime historien latin, du Ier siècle après JC (mouvance de César, La Conjuration de Catilina, Jugurtha, chef numide)

Il est manifeste qu’il reçut une très bonne éducation et une solide instruction en qualité de fils de bonne maison et mena dès ses jeunes années une vie studieuse et disciplinée. En fit partie certainement une solide instruction militaire car outre son envergure littéraire, qui nous le verrons fut exceptionnelle, il fut un excellent soldat qui participa activement aux guerres de religion. Il fit ses humanités peut-être d’abord au Collège d’Auch qui déjà affirmait sa qualité et possiblement aussi ensuite au prestigieux collège de Guyenne à Bordeaux. Quant à ses études de droit, car son père voulait qu’il devînt juriste, c’est certain, il les fit à Toulouse, obtenant son doctorat en 1567. Il étudia de manière approfondie les auteurs grecs et latins : poètes, historiens, philosophes, rhéteurs et érudits. Il parcourut tous les domaines de la science : astronomie, physique, arithmétique, histoire sacrée et profane. Il parlait outre le français et le gascon, le grec, le latin, l’anglais, l’allemand, et entendait probablement l’hébreu.

 

Il eut très tôt la vocation poétique, dès « l’avril de mon âge »  et il n’était nullement pressé d’embrasser quelque carrière que ce soit.

 

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La masse impressionnante de ses biens qu’il ne négligea pas d’augmenter lui assurait des revenus suffisants, d’autant qu’il y ajouta l’achat de charges dont celle de juge à Monfort et  à Cologne et à partir d’un certain moment on le trouve Baron  de Cologne : il pouvait de ce point de vue s’adonner au travail et au plaisir de la création littéraire.

Il se dégage de sa vie et de sa personnalité une image de sérieux et de rectitude morale, mais il paraît avoir sacrifié sans excès notables aux joyeusetés et aux plaisirs de la jeunesse.

 

Il participa, et cela paraît aller de soi, et être dans la logique de sa qualité de gascon et de son parcours, au concours de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, institution alors en plein éclat,  et à 21 ans, il y remporta une violette, pour le type de poème le plus emblématique de cette manifestation, un Chant Royal, poème à forme fixe très savant de type ballade, composé de 5 onzains de vers de 10 à 12 syllabes et d’un envoi de 5 syllabes, sur un haut sujet. Du Bartas avait pris celui du maléfice fatal des sirènes sur les malheureux marins.

 

 

 

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Il fut manifestement un des fidèles et des ornements de la cour de Nérac. La reine de Navarre, Jeanne d’Albret, huguenote passionnée, lui commanda en quelque sorte une Judith, qu’il écrivit mais ne fit aboutir que pour la publication de sa première œuvre notable, La Muse Chrétienne, dont la reine suivante, Marguerite de Navarre, la reine Margot, reçut l’hommage. Car Jeanne d’Albret était morte en 1872, peu de temps avant le mariage de son fils.

 

 

 

En 1872, il épousa Catherine de Manas, seigneuresse d’Homps, et en eut  quatre filles. Sa vie privée n’est que peu connue, car il n’en a pas fait confidence dans son œuvre et nous n’avons pas à ce jour par exemple de correspondance de lui ou d’un de ses proches en faisant état. Mais on croit pouvoir déduire des renseignements qui ont filtré qu’il mena une vie conjugale et familiale harmonieuse. Manifestement sa femme mourut quelque temps avant lui. Son testament, qu’eut la chance méritée de découvrir chez un notaire Monseigneur de Carsalade du Pont, ne laisse pas de doute à ce sujet même si ce deuil n’est pas vraiment renseigné.

Apparemment il ne quitta guère ses domaines gascons, et d’abord son cher Bartas, sur la rive de l’aimable Sarampion, où il écrivit son œuvre poétique, si ce n’est pour son service auprès d’Henri IV, dans l’amitié duquel il était,  compagnon des incessants combats du chef des huguenots d’abord et du roi de France ensuite. Il semble qu’il eut un réel regret d’être toujours éloigné de la capitale,  ayant intégré qu’ « il n’est de bon bec que de Paris », n’hésitant pas à le peindre comme un paradis, seul lieu à même d’assurer la gloire littéraire d’un poète, où il eût pu se dégasconner. 

 

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Il joua un rôle politique réel, notamment de conseiller, auprès d’Henri IV qui le chargea de missions diplomatiques importantes. Une première en Languedoc en 1580, une autre, semble-t-il, en Allemagne et, c’est certain, une ambassade en Angleterre auprès d’Elisabeth 1 ère et surtout auprès de Jacques VI d’Ecosse, fils de Marie Stuart, le futur roi d’Angleterre Jacques Ier, qu’Henri IV espérait marier à sa sœur Catherine. Ce roi lettré et poète lui-même s’engoua de du Bartas, lequel arrivait auréolé de l’immense succès de sa Semaine, et voulut le retenir près de lui en lui faisant miroiter d’immenses gratifications. Mais il déclina l’insistante proposition pour revenir à sa vie ordinaire. Par contre il traduisit en français sa Lépanthe.

Il mourut à Mauvezin le 28 août 1980, à l’âge donc de 46 ans, peu de temps après cette fameuse victoire d’Henri IV, maintenant roi de France,  à Ivry . Nous avons assez d’indices pour pouvoir dire que la fin de sa vie fut douloureuse, grevée par une mauvaise santé, des deuils, des déceptions probablement. On parle de blessures de guerre mal soignées et il a été explicitement formulé qu’il était mort des suites de ses blessures. 

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Qui fut-il en tant que personne ? L’image qu’il laisse de lui à travers ce qui transparaît dans son œuvre  et les témoignages de ceux qui l’ont connu est flatteuse. Elle fait apparaître une personnalité qui suscite la considération et peut pousser à la sympathie et jusqu'à  l’admiration. Tout laisse supposer qu’il mit en accord sa vie avec les principes de la religion chrétienne dont il était un fervent. Il a géré en le faisant  fructifier ce qu’il a hérité, il a exploité constructivement ses dons et ses facultés par un travail et un engagement assidus, il a fait tout son devoir pour habiter son siècle fabuleux et cruel, il a été loyal au souverain de son choix et à tout un panel de relations amicales et artistiques, toutes de qualité, qu’on lui découvre, fidèle à sa culture et à sa province qu’il aimait, il est resté simple et modeste, malgré la gloire qui semble lui être advenue sans qu’il l’ait à ce point ambitionné ou appelée.

Il avait le sens et le goût de la conciliation ; on lui reconnaît une qualité rare et plus encore en cette époque de déchaînement des passions religieuses et politiques : la tolérance. Pas d’appel à la haine et à la violence  chez lui malgré son attachement passionné au protestantisme : il haïssait la guerre, qu’il a dû faire et qui a probablement détruit sa vie et empêché le développement de son œuvre . Il appelait la paix de tous ses vœux. Il se rattachait par cette attitude au courant modéré des Politiques, tous des hommes de valeur, qui rêvaient et réfléchissaient à une 3ème voie, d’apaisement, au milieu des fureurs religieuses du temps. Cette disposition est entièrement cohérente avec son allégeance à Henri IV et sa loyauté sans faille à son égard.  Il était sensible à la condition des pauvres. Certains propos et certains actes de charité en témoignent. Il parle « du faucheur pantelant de chaud et de peine » et demande dans son testament qu’on habille plusieurs pauvres en divers lieux de ses possessions.

Il a écrit en langue gasconne et en langue française, mais c’est en français qu’il a produit le gros de son œuvre et sa partie la plus impressionnante.

Exclusivement poète, il s’est cherché un temps, hésitant sur la voie à prendre, attiré par la poésie profane dans sa jeunesse et au début de sa carrière, commettant quelques oeuvrettes qui n’exprimaient pas son génie propre. Et bien vite, il occulte cette première tendance, n’hésitant pas à retirer de la publication des poèmes qu’il désavouait désormais. Et il s’attache à promouvoir explicitement une poésie religieuse et savante. Assez vite, il lui apparaît en effet clairement que l’activité poétique est indissolublement liée à la foi. L’inspiration est pour lui d’essence divine. Tout s’apprend par art La poésie seule est pur don céleste. Il se fait donc de la poésie la plus haute idée. C’était d’ailleurs à l’époque le genre littéraire majeur : rien n’était dans le domaine des lettres au-dessus d’un poète.

Parmi les ouvrages que j’ai consultés, j’ai lu avec profit : Du Bartas, poète chrétien de Michel Braspart 1947 et Guillaume de Salluste du Bartas, poète scientifique de James Dauphiné, 1983        Braspart - Du Bartas.jpg                                       41TWNRS2CYL._UY250_.jpg

 

 

Il a à son actif plusieurs œuvres poétiques, parues entre 1574 et 1590, portant toutes le sceau du poète chrétien et du poète savant et, dans une bien moindre mesure, traduisant sa fidélité inébranlable à la maison d’Albret-Navarre/Bourbon. Ce sont :

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L’Uranie, poème didactique d’environ 300 vers, qui est son art poétique en somme, où il fait allégeance à la muse savante de l’astronomie et de l’astrologie, où il se démarque vigoureusement des poètes de cour et de la poésie païenne, qui tient le haut du pavé avec essentiellement  la Pléiade

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La Judith , long poème héroïque de plus de 2000 vers : il y évoque l’acte héroïque de cette emblématique figure féminine de la Bible, qui, portée par sa foi, assassine par ruse  le 

tyran Holopherne pour délivrer son peuple.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le triomphe de la Foi,poème religieux de quelques 700 vers dont le propos est explicite , où il a suivi Pétrarque, le Prince des poètes italiens, divisant son discours en 4 chants ,

3 poèmes groupés généralement comme à leur parution en 1574 dans La Muse Chrétienne.

 

 

En 1578, La Semaine ou Création du monde, où il peint et raconte la Création du monde par Dieu

En 1584, La Seconde Semaine ou Enfance du monde restée inachevée, où il projetait de raconter l’histoire complète de l’humanité au point de vue biblique, de la  Création jusqu’au jugement Dernier

 

Et de moindre ampleur

Le poème dressé par S du B pour l’accueil de la Reine de Navarre faisant son entrée à Nérac, auquel 3 nymphes débattent qui aura l’honneur de saluer sa majesté, poème de 96 vers

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Les neuf Muses des Pyrénées, Présentées par G de S, sieur du Bartas au Roi de Navarre : ce sont 9 sonnets

 

L’hymne à la paix , à l’occasion de la fugitive paix de Fleix, un petit poème de 58 vers

En 1590, juste avant sa mort, Le cantique sur la victoire d’Ivry , poème à la louange d’Henri IV, maintenant Roi de France, auréolé de gloire et pouvant espérer conquérir son royaume

quelques sonnets de ses débuts qui n’ont pas échappé à son élagage

 et  également la traduction en français de La Lépanthe, poème du roi d’Ecosse évoquant la célèbre victoire de l’Angleterre sur la Turquie.

 

Toutes ses œuvres sont d’un authentique poète, notamment La Deuxième Semaine qui présente des parties remarquables, et dans une moindre mesure la Judith et même Le Cantique. Mais ce qui est frappant c’est que tout ce qui n’est pas au service de sa foi est faible, voire médiocre. 

 

  Mais il est avant tout le poète d’une œuvre, un monument de 6494 vers, La Sepmaine ou La Création du monde. Rien dans sa production ne s’élève à la hauteur et à la dimension de ce poème fleuve. Le piédestal du bien vilain buste  qui a remplacé celui de bronze qui fut fondu par les Allemands en 1942 ou 43 ne porte d’ailleurs que ce titre.

 A ce sujet, le buste fondu avait été inauguré le 12 août 1890 dans le cadre de belles fêtes commémoratives en présence de personnalités du monde littéraire, politique et diplomatique, dont Maurice-Louis Faure, qui avait écrit un poème en cet honneur, Paul Arène, Anatole France et Charles Maurras.

 

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Donc Du Bartas fut en son temps et est resté l’auteur de la Sepmaine. Le titre est déjà très explicite quant au sujet de l’œuvre, décrire la création du monde par Dieu et cela à partir de l’évocation très succincte qu’en fait la Bible au début de La Genèse. La lire. C’est une idée à la fois simple et géniale, de l’avis même des spécialistes les plus exigeants du poète. Il y a eu au Moyen-Age et à La Renaissance un fourmillement de poèmes inspirés par La Genèse, mais rien de semblable à l’entreprise grandiose de Du Bartas. Il y développe et illustre successivement les 7 jours que le dieu de la Bible a pris pour créer le monde, cela en alexandrins à rimes plates : 1160 vers pour la journée la plus longue, la 2ème, et 716 pour la plus courte, la 7ème. Chaque journée développe scrupuleusement l’argument du texte biblique, mais avec la liberté, l’habileté et le foisonnement inouï de ce poème qui a des allures de gageure et ne saurait à aucun moment être regardé comme la simple glose d’un passage biblique.

 

 

 

 

 

C’est une épopée, un poème héroïque, par lequel il veut rivaliser avec l’Iliade et l’odyssée,  mais aussi  la Franciade de Ronsard, l’illustre chef de file de la Pléiade, le Prince des Poètes et le Poète des Princes. Il n’a pas manifesté, ou on n’a pas rapporté de sa part, un esprit de compétition aigu, ni une soif démesurée de gloire, mais ceci témoigne d’une authentique ambition littéraire. Et en fait, il nourrissait un projet précis et il croyait fortement à ce qu’il mettait en œuvre . Ce genre de poème rapporte les hauts faits des héros d’un groupe humain, clan, nation, humanité. Le choix du sujet de la semaine peut être jugé audacieux et pertinent à la fois. Or c’est ici l’exploit absolu, si l’on veut bien, celui d’un Créateur omnipotent et omniscient qui, de rien, donne naissance à tout, qui du chaos absolu ordonne le monde en son entièreté, œuvre surhumaine par excellence. Il n’est de plus haut fait que de créer la vie sous toutes ses formes, l’Univers entier, le Cosmos. D'où la dénomination de poème cosmogonique.

Et Du Bartas est convaincu du bien-fondé de cette entreprise inouïe que sa difficulté n’arrête pas. Il fait œuvre militante, on a même pu dire qu’il faisait œuvre apostolique : mener ou ramener l’homme à son créateur, le convaincre de l’infinie beauté du monde, lui prouver que dieu est partout, afin qu’il songe à sa faiblesse et à son salut. Pour lui l’inspiration poétique est d’essence divine, elle est le signe d’une élection ; et se sentant habité de son souffle, se sentant le devoir impérieux de « faire sentir les splendeurs de l’oeuvre de dieu », il se sent capable de relever ce défi.

Il est porté par une ardente foi, et non pas une foi routinière, passivement héritée de ses ancêtres et de  l’orthodoxie de son temps. C’est un huguenot, par choix délibéré, par remise en question de l’institution catholique et d’une religion chrétienne  dépravée et dévoyée. Il est revenu aux sources du dogme chrétien, il connaît la Bible qu’il lit dans sa langue et sans doute dans sa langue originelle, qu’il pratique assidûment. Et ce choix est en conformité avec ce qu’il laisse filtrer de lui-même et dont attestent les témoins dignes de foi de sa vie : il est habité d’une haute préoccupation morale à laquelle il conforme sa vie et en cela, il est en phase avec le protestantisme qui, toute distance prise, le fait apparaître plus comme une revendication morale, que comme une revendication dogmatique. Plus que de savoir s’il existe ou non une immaculée conception, ou s’il est bon d’orner ou non d’images les églises, il s’agit de mettre sa vie en accord avec les commandements de Dieu et les devoirs de sa religion.

Il est du ressort de la poésie envisagée dans sa plus haute fonction et cela depuis les origines de dire le monde : quel sujet peut mieux répondre à cette ambition que celui qu’a retenu notre poète.

 Il veut toucher l’âme du lecteur, il sait qu’il faut plaire pour instruire, et il met tout en oeuvre avec une force de conception et une capacité d’exécution exceptionnelles, une verve intarissable. Loin de la plate et fastidieuse énumération de ce qui inépuisablement sort des mains de dieu, c’est le répertoire incroyablement animé et divers de tout ce qui est au monde, du moins de tout ce que connaît l’homme instruit de son temps. Ses évocations sont amples, puissantes et en même temps simples, concrètes et variées ; c’est un foisonnement d’images. La nature qu’il aime et connaît vit de toutes ses  plantes, de tous ses animaux, de tous ses arbres, de toutes ses eaux, de toutes ses ardeurs, de toutes ses froidures, de toutes ses convulsions ; elle déploie une prodigieuse abondance, la terre une inépuisable fécondité. Les astres et les luminaires, soleil et lune qui jouent ensemble autour de la terre, ornent et animent le ciel. Malgré le rigorisme de sa foi, l’humaniste, l’intellectuel de la Renaissance nourri de la littérature antique, qu’est Du Bartas, pour orner son propos fait place aux grandes figures mythologiques et à quantité de fables qui sont incontournablement dans la familiarité du lecteur de son temps. Océan, Soleil, Terre y prennent le visage de Neptune, de Phébus Apollon, de la douillette Vénus, Le Lion et l’Esclave, La Belle et l’Aigle, Arion et le dauphin illustrent la force de l’amour, le combat à mort de l’éléphant et du dragon l’horreur et la monstruosité des guerres entre catholiques et protestants. Car toute la condition en même temps que toute la pensée de son temps aussi passe dans son œuvre.

Le poète nous établit près de lui, nous faisant partager le spectacle inouï de le création par son enthousiasme et sa force de conviction et nous finissons par nous trouver à Dieu, Adam et Eve, le poète et le lecteur sur le chantier où le  grand Ouvrier, le grand Architecte, le grand  Brodeur, le grand Pilote fabrique le monde, tout l’Univers, tout de qui existe, qui se trouve ainsi décrit, montré, expliqué dans sa totalité à travers toutes les connaissances que les hommes ont engrangées depuis qu’ils pensent et écrivent et que Du Bartas a faites siennes.  Car, toutes proportions gardées,  il sait tout, il a tout lu ou du moins infiniment.  

« Somme que je voie un abîme de science » : c’est le souhait de Gargantua  relativement à l’éducation qu’il ambitionne pour son fils Pantagruel et l’idéal du XVIème siècle est l’homme universel, qui a des connaissances solides dans tous les domaines et qui, idéalement, s’est approprié tout le savoir de son temps. On se dit en lisant Salluste du Bartas qu’il a entendu l’injonction, a relevé le défi, l’a mise en œuvre et a réussi. Il donne l’impression d’un savoir encyclopédique. « Il est un des derniers hommes à  ressentir et à affirmer qu’il possède un savoir universel ». James Dauphiné. Et on a pu dire que la semaine était une encyclopédie versifiée. Nous avons à faire en effet à une poésie didactique, disparue aujourd’hui en France mais très cotée en ce temps-là.

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En même temps que notre poète affirme en tout point sa croyance profonde dans la vision de la Bible  et dans la  conception géocentrique du monde héritée de l’Antiquité et du Moyen-Age, exprimant une vision conservatrice, il réfute, en les exposant, ce qu’il juge être les élucubrations de Lucrèce, de Démocrite ou de Copernic. Il refuse l’héliocentrisme mais il l’explique. En fait il défend « avec une énergie farouche, l’ultime déboire, l’ultime manifestation d’une certaine conception du Cosmos qui est en train de s’effondrer ». Il lui faut neutraliser la science et la raison que son siècle a faites de plus en plus menaçantes pour qui n’est pas un moderne, il faut lui opposer une telle conviction de foi qu’elle en soit neutralisée. Notons que sa conception archaïque de l’Univers est restée celle des érudits, traducteurs et poètes de notre Renaissance, Ronsard par exemple.

 

La construction proprement poétique du propos des journées est travaillée et contribue à la force et à la clarté de l’édifice. Empruntons à Pierre Deghilage, professeur de Lettres classiques et érudit auscitain, protestant comme Du Bartas, l’élucidation de l’architecture très précise et très savante de la 5 ème semaine qu’il propose à notre admiration en 1955 dans le bulletin de la SAG.

 Ce jour-là, c’est la création des poissons et des oiseaux, d’où 2 parties construites sur un plan analogue. Première partie : une invocation de 24 vers, une exposition de 34 vers, une partie descriptive de 366 vers et une histoire finale de 104 v. Deuxième partie : transition de 12 v, invocation de 12 v, le symbole du Phénix 52 v, une partie descriptive de 298 v et une histoire finale de 118 v.

 

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« Je me suis retrouvé visitant l’édifice bâti par un architecte possédant le sens des proportion set une réelle générosité, dont les qualités d’invention sont remarquables, le sens du mot juste fort aigu, et qui possède au surplus l’inestimable faculté d’étonner sans cesse le lecteur. » C’est le propos d’un universitaire pointu, qui ignorait totalement Du bartas et qui était peu enclin à l’admirer.

 Et c’est l’occasion de dire que le vers de du Bartas est solide, savant, riche et varié. Bien sûr, il ne faut pas y chercher de mignardise ni de jeu alambiqué. Il refuse le style élevé, car il veut rester proche des hommes, là où l’on agit concrètement dans le monde. Mais il savait que « son sujet élevé, grave, grandiose exigeait une diction magnifique, une phrase haut levée, un vers qui marche d’un pas grave et plein de majesté, non éfréné, non lâche, ni efféminé et qui coule lascivement ainsi qu’un vaudeville ou une chansonnette amoureuse ».

C’est le siècle de la Pléiade, la glorieuse école poétique qui rompant avec la poésie du Moyen-Age, complètement exténuée aussi bien dans son registre profane que dans son registre religieux, décrète un renouveau par son énergique proclamation de La Défense et Illustration de la Langue Française. Les « sept étoiles » et leurs satellites ont produit une poésie païenne imitée de l’Antiquité et pourtant toute nouvelle, enrichissant et vivifiant la langue. Salluste du Bartas, qui est  la génération suivante, est répertorié dans cette mouvance, considéré en général comme ayant hérite de l’acquit de ces poètes, reconnaissant leur autorité et leur vouant son admiration, notamment au plus grand et au plus illustre, le Prince des Poètes et le Poète des Princes, Ronsard. Il les connaît, c’est certain et il est bien sûr au fait de toute leurs écrits. Mais il me paraît pertinent de ne pas en faire un élève de Ronsard et un émule de la Pléiade.  Je pense plus judicieux de se rallier à la thèse de Maxime Lanusse de 1893, qui conforte l’impression qu’on a en le lisant, que Du Bartas ne suit pas plus dans sa forme que dans ses sujets, le courant poétique qui est maintenant officiel .

 Il  apporte  son propre génie, qui est grand et très gascon. Ecoutons Georges Pélissier 1883 Thèse sur La vie et les œuvres de S pour qui il est un pur produit de sa Gascogne, « si féconde en soldats, blés et vins, » mais aussi « en poètes et orateurs ». « L’aliment principal de son génie est sans doute l’intense sentiment religieux du huguenot, mais tout ce qui tient à la forme de ses œuvres, au caractère de son talent, à son tempérament poétique se  rattache par des liens étroits aux influences de race, de sol, de climat. Il témoigne d’une emphase et d’une faconde toutes gasconnes, mais aussi, puisées à la même source, d’une imagination vive, d’une verve intarissable, d’une éloquence naturelle. »Le dialecte Gascon parlait alors avec l’autorité d’une langue, d’autant plus que la Renaissance fut très productive en Gascogne, notamment en expression poétique, et le français avait grand mal à refouler les gasconismes, qui partout envahissaient. L’exubérance et le style baroque de Du Bartas qui lâche la bride à son expression est tout différent de la manière mesurée et recherchée de Ronsard ou Du Bellay, qui tend déjà vers le classicisme, notamment dans ce qui surnage d’eux, leurs Amours et leurs Regrets, sujets indignes aux yeux de Du Bartas.

Notre poète a d’ailleurs été le phare d’une renaissance littéraire régionale 1550/1650 qui a vu l’éclosion d’une littérature occitane nouvelle. Philippe Gardy dans son Du Bartas et les poètes occitans 1999 ou La leçon de Nèrac présente sa personne et son activité littéraire comme y ayant exercé un rôle considérable et comme étant «  le lieu géométrique d’exploration de cette période ». «  Autour du poète de Monfort, dit-il,  s’est nouée une forme d’écriture occitane en quête de ses définitions et de ses marques esthétiques et symboliques. Il en a été le catalyseur, le révélateur et la source exemplaire. C’est sur Toulouse et sa zone d’attraction, lieu de confluence entre le domaine gascon et le domaine languedocien, que la figure de Du Bartas a exercé en priorité son emprise ».

 

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Faisons ici sa place au poème déjà cité qu’il composa en l’honneur de Marguerite de Navarre entrant à Nérac pour rejoindre son mari menée par sa mère Catherine de Médicis. Ce poème devient immédiatement une référence incontournable dans ce mouvement de renouveau occitan dont nous parlons .Il y fait débattre 3 nymphes qui se disputent le privilège de souhaiter la bienvenue à la souveraine : la latine, la française et la gasconne, nymphe de la Baïse. C’est elle qui l’emporte, se montrant la plus combative et la plus éloquente, haranguant la Reine avec beaucoup d’aplomb. Marguerite donnera d’ailleurs un éclat particulier à la Cour de Nérac pendant 4 ans et en fera la cour la plus brillante de France.

 

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Mais, et c’est frappant, Du Bartas se trouve être déjà avec sa Semaine le phare et le promoteur d’une autre renaissance, non plus de dimension régionale cette fois, mais de dimension nationale et même européenne, celle de la poésie religieuse. Son poème eut dès sa parution un succès qu’on ne peut s’imaginer, car la poésie a perdu son prestige jusqu’au sein des élites cultivées et de surcroît n’est plus du tout au service de la religion ni de la science. Immédiatement le succès fut prodigieux, attesté par les libraires, les historiens, les écrivains. C’était le nouveau LIVRE « dont les pilastres et les frontispices des boutiques allemandes, polaques, espagnoles se sont enorgueillies, joignant son nom à celui de ces divins héros, Platon, Homère, Virgile ». L’ouvrage triomphe en Angleterre où Jacques Ier traduira l’Uranie, Les Furies et 2 autres passages des Semaines. On parla désormais du divin Bartas ou du Divin gascon.  Ce fut le Nouvel Orphée. En fait, c’est être le David de son temps qu’il ambitionnait. La Semaine devint bien sûr le trophée des calvinistes, mais Du Bartas refusa de devenir le poète officiel des huguenots. Il fut lu de tous, les catholiques compris.

Il détrôna Ronsard et prit sa place en tant que Prince des Poètes. On compte 15 éditions de la Semaine en 3 ans et 48  du vivant de Ronsard !!! qui aurait dit « Du Bartas a fait plus en une semaine que moi en toute une vie ! »Il semble en effet qu’il accueillit le livre avec faveur, mais il en devint très vite un détracteur, et cette œuvre d’ailleurs n’était pas dans ses goûts ni dans ses choix. Le poème fut traduit par 2 érudits en latin, la langue des lettrés : théologiens, poètes, philosophes - consécration suprême.

Manifestement cette œuvre répondait à un besoin et à une attente. Il allait pourtant à contre-courant de son époque en rétablissant le primat de Dieu. Il faut imaginer que les esprits en avaient un fort besoin, que le sentiment religieux chez tous était intense. « Elle correspondait à un moment de la conscience européenne », écrit James Dauphiné. Violentée par les Guerres de religion qui des deux bords avaient dû abîmer singulièrement l’image de Dieu, trouvait-elle dans ce poème,  qui donne au Créateur un visage si bienveillant en même temps que si exigeant à l’égard de sa créature, réhabilitation et apaisement ?

Et sur le plan littéraire et artistique aussi elle était en phase avec ce moment de 30 ans, 1580/ 1610 « Quoiqu’il en soit, la Semaine a pris l’allure d’un manifeste et d’un défi et elle a promu un genre littéraire qui a eu de très nombreux imitateurs. » L’esthétique en était nettement baroque et manifestement elle correspondait à la sensibilité de cette période trempée à des états d’exacerbation et de bouleversement et vibrante du désir de reconstruire.

Et il a en propre quelque chose de génial et de hors norme. Ecoutons James Dauphiné qui a dirigé le colloque de Pau : « Le verbe bartassien commence un monde nouveau infini, que le cadre étroit des 7 jours de la Semaine ne saurait contenir. Comme les vitraux du M A ou ceux de Chagall, la semaine ne cesse de provoquer l’imaginaire et le sens esthétique de ses lecteurs. »

On ne rendrait pas justice à Du Bartas, si on ne se penchait pas sur la Seconde Semaine qu’il ne put finir. Elle est unanimement jugée inférieure à la Semaine et même souvent très inférieure. Mais c’est également quelque chose de grandiose et elle contient de très beaux passages, des choses gigantesques et étonnantes.

C’était un projet démesuré, encore plus « fou » que celui de la 1ère. Elle devait présenter comme la première une succession de 7 jours. Du Bartas reprenait à Saint-Augustin l’histoire du monde en 7 âges. Bien sûr cela avait à voir, avec l’architecture de la Semaine.

Il n’en écrivit que 4 . Il en parut d’abord les 2 premiers jours, en une forme achevée et complète. C’était déjà 5490 vers. Chaque jour est composé de 4 livres : Eden, L’imposture, Les furies, Les Artifices et L’arche, Babylone, Les colonies, Les colonnes. 

2 autres jours ont paru dans le désordre, de 1588 à 1603. La succession de parution des livres n’a pas respecté l’ordre dans lequel ils ont finalement été répartis dans ces 2 derniers jours. Ce sont : La vocation, Les pères, La Loy et Les Trophées, La Magnificence, Jonas, Les capitaines, La décadence. Et on en arrive là à 14 000 vers !

Y prennent vie dans des développements extraordinaires de longueur et de passion à tout dire, la faute d’Adam et Eve, l’expulsion du paradis, le crime de Caïn et ses contributions à la civilisation, le déluge et l’Arche de Noé, l’épreuve d’Abraham, les réalisations de David et de Salomon, etc Et il arrive à nous capter émotionnellement, comme dans la Semaine, notamment avec son identification à Adam, le premier homme.

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Les œuvres de Du Bartas s’éditèrent régulièrement en France jusqu’en 1641 mais de moins en moins et sa mode passa. Au XVIIIème siècle déjà on ne le lisait pratiquement plus et il tomba dans l’oubli même chez nous. Mais as partout, ni en Allemagne, ni en Angleterre. Cf Goethe

On peut dire qu’il sans conteste le plus illustre des écrivains gersois de tous les temps.

La Société Archéologique, elle, n’a pas manqué de l’honorer. On trouve d’importantes communications en 1910, en 1944, bien sûr, pour les 400 ans de sa naissance, en 1945, et ce n’est pas exhaustif.

En 1932, à la suite d’un legs, la SA s’est installée ici avec tout le lustre qui convenait et la Place des Carmélites est devenue la place Saluste du Bartas.

En 1935 , l’Office de Tourisme de Gascogne lui a consacré , sur son territoire à Monfort et Cologne, une grande journée de festivités, avec hommages, communications, concerts, chants, danses, pièce de théâtre.

En 1971, on installa le nouveau buste et la presse se fit l’écho de cet événement.

Chose étonnante, qui appelle réflexion, il a été redécouvert en somme, au XX ème siècle, et depuis une 20 années, on assiste à une floraison d’études sur Du Bartas, ce qui prouve qu’il n’a jamais été perdu de vue par les lettrés. La Semaine a été mise au programme de l’agrégation de Lettres en 1993, des Colloques se sont mis en place, notamment au Musée National du Château de Pau cette année là.

 

 

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05/07/2016

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